Constellation, le dépôt institutionnel de l'Université du Québec à Chicoutimi

Résumé

La scolarisation des jeunes est, de nos jours, un enjeu majeur de développement pour le Québec, que ce soit pour combler les besoins en main-d’œuvre qualifiée, pour briser le cycle de la pauvreté et de l’exclusion ou pour contribuer au développement du plein potentiel de chacun. Selon le rapport Savoir pour pouvoir, produit par le Groupe d’action sur la persévérance et la réussite scolaires au Québec (2009) grâce au soutien de la firme McKinsey & Compagnie, les conséquences du décrochage scolaire sont multiples, puisqu’il influe entre autres sur le développement économique par une hausse des dépenses en santé et en services sociaux, par une baisse de la productivité et par un manque de diversification économique des milieux. Le Groupe d’action calculait ainsi que le manque à gagner en impôts et en taxes non perçues ainsi qu’en coûts sociaux additionnels dû au décrochage permanent s’élevait à 120 000 $ par individu en 2009. L’influence du décrochage scolaire sur la dynamique politique se traduit également par une baisse de la participation aux élections (par exemple, 52 % des décrocheurs votent contre 84 % des diplômés universitaires) et aux activités politiques, ainsi que par une plus faible expression des opinions. À l’inverse, l’amélioration de la diplomation contribue au développement social puisqu’elle est associée à une meilleure connaissance de sa culture et à une ouverture à celle des autres, à une augmentation du bénévolat et de l’engagement communautaire ainsi qu’à un aplanissement des disparités selon le genre, le milieu de vie, le statut socioéconomique et les habiletés personnelles. En somme, il est possible d’établir un lien direct entre la diplomation des jeunes, leur implication sociale et le développement des communautés.

Dans une publication récente (Simard, Morin, Perron, Gaudreault et Veillette, 2016), les bases théoriques de nos travaux portant sur les liens entre « territoire » et « scolarisation » ont été explicitées. Ainsi, la présente contribution marque un moment de synthèse et de continuité, puisqu’elle s’inscrit dans un long processus de recherche entrepris au début de la décennie 1990 (Veillette, Perron, Hébert, Munger et Thivierge, 1993), dans lequel le territoire a toujours figuré à titre à la fois d’outil de découpage (au plan méthodologique) et de cadre conceptuel favorable au rapprochement de la sociologie et de la géographie (Perron, 1997). Il convient de revenir sur ladite publication du fait qu’elle expose, dans un premier temps, comment l’approche territoriale peut être utile pour fournir un meilleur diagnostic de la scolarisation à différentes échelles géographiques au Québec, tout en proposant, dans un deuxième temps, une lecture qui se veut au service de l’action locale et régionale en matière de persévérance et de réussite scolaires.

Les dimensions économique et sociale (incluant les déterminants de la santé) de la réussite et de la persévérance scolaires des jeunes constituent autant de facteurs clés liés au développement des collectivités. Cette prise de conscience s’est effectuée à partir des années 1990, le décrochage scolaire s’affirmant progressivement non seulement comme une problématique scolaire, mais également comme un problème social et un enjeu de développement territorial (CRÉPAS, 2001; 2005; Demi, Coleman-Jensen et Snyder, 2010; Groupe d'action sur la persévérance et la réussite scolaires au Québec, 2009; Lyson, 2005; Perron et Veillette, 2012; Perron, Veillette et Richard, 1996).

En effet, de multiples composantes d’un territoire peuvent influencer les parcours scolaires des jeunes qui y résident. Même si les travaux portant sur la réussite scolaire restent fortement associés au triptyque « élève-famille-école » (Hattie, 2009), un nombre croissant d’études, s’inspirant de l’approche écologique (Bronfenbrenner, 1979; Bronfenbrenner et Morris, 2006), s’intéresse aux contextes dans lesquels les jeunes évoluent : la famille, l’école et la communauté (Anderson, Leventhal et Dupéré, 2014; Demi et al., 2010; Dupéré, Leventhal, Crosnoe et Dion, 2010; Ellen et Turner, 1997). Les théories du développement des enfants soulignent d’ailleurs l’influence directe et indirecte de ces contextes dans la dynamique des parcours scolaires, en ciblant en particulier le quartier de résidence des jeunes (Caro, McDonald et Willms, 2009; Sastry et Pebley, 2010).

Toutefois, la notion de quartier est souvent réduite aux caractéristiques socioéconomiques des familles : revenu, emploi occupé, statut matrimonial et ethnicité (Brooks-Gunn, Duncan, Klebanov et Sealand, 1993; Sastry et Pebley, 2010). La diversité des sphères de vie des jeunes et la dynamique complexe qui les lie appellent pourtant une lecture plus multidimensionnelle et globale du milieu de vie, ce que sous-tend le concept de territoire. L’intérêt d’une approche territoriale est d’ailleurs confirmé par certains travaux qui identifient la dotation différenciée dans l’espace comme facteur d’influence de la scolarisation des jeunes, notamment en lien avec l’offre scolaire (Anderson et al., 2014; Dupéré et al., 2010) et avec l’éloignement géographique (Chenoweth et Galliher, 2004; Veillette et al., 1993).

Le présent texte propose un regard renouvelé sur la dynamique complexe de la diplomation au secondaire selon un cadre d’analyse territorial, à partir d’une étude empirique quantitative menée à l’échelle des municipalités régionales de comté (MRC) du Québec. Pour soutenir les acteurs locaux et régionaux dans leur compréhension des caractéristiques de leur territoire et, par le fait même, pour leur permettre de mieux orienter leurs plans d’action, un diagramme radar, c’est-à-dire un mode de représentation graphique permettant d’illustrer simultanément plusieurs indicateurs, est proposé pour chaque MRC de la province. Il s’agit d’une nouvelle manière d’appréhender la réalité scolaire propre à chaque territoire permettant de positionner plus concrètement des enjeux différenciés pour chacun.

Dans la première section, une recension des écrits expose le rôle souvent méconnu de l’espace en matière de scolarisation, plus particulièrement en ce qui a trait à la persévérance et à la réussite scolaires. La deuxième section, quant à elle, explicite comment le concept de territoire est incontournable pour plusieurs raisons, liées tantôt à l’étendue géographique que couvre la desserte scolaire au Québec, tantôt à la diversité socioéconomique régionale ou locale, et ce, pour mieux comprendre la dynamique complexe des parcours scolaires. Dans la troisième section, l’analyse quantitative et le découpage par MRC servent à la fois de méthode et de cadrage pour scruter les disparités de diplomation au secondaire. Enfin, la dernière section illustre, à partir de diagrammes radars conçus pour chaque MRC, la pertinence de l’approche territoriale comme outil au service de l’action locale et régionale en matière de persévérance et de réussite scolaires.