Constellation, le dépôt institutionnel de l'Université du Québec à Chicoutimi

Résumé

La pandémie de COVID-19 a profondément bouleversé la vie quotidienne des individus à travers le monde. Au Canada, plus de 51 000 personnes sont décédées de cette maladie (Johns Hopkins University, 2023), ce qui a mené plusieurs personnes en deuil à naviguer à travers les contraintes concernant l’accompagnement des personnes mourantes et les rituels funéraires (Cherblanc et al., 2022). En temps normal, les rituels funéraires offrent une structure sécurisante pour les personnes en deuil. Ils permettent de se confronter à la réalité du décès, rendant la mort plus concrète. Les rituels funéraires contribuent aussi à l’expression des émotions suivant la perte (Giblin et Hug, 2006). En effet, l’environnement créé, lors des funérailles par exemple, permet aux personnes de partager des souvenirs et d’honorer la mémoire du défunt, tout en obtenant le soutien de la communauté, ce qui rend le deuil moins individuel (Giblin et Hug, 2006). C’est alors un passage essentiel vers une nouvelle réalité, celle du décès, dans laquelle la relation entre le vivant et le défunt peut passer à un nouveau statut (Klass et Steffen, 2017). Vu les restrictions engendrées par la pandémie, ce passage fondamental a été entravé (Cherblanc et al., 2022). Ainsi, il est possible que ces contraintes imposées par le contexte sanitaire aient influencé l’expérience des liens continus (LC) avec le défunt. C’est dans ce contexte que s’inscrit le présent mémoire qui vise à mieux comprendre la place qu’occupent les continuing bonds (Klass et al., 1996) – les liens continus en français – au sein du deuil en temps de pandémie. Prenant appui sur le modèle à double processus de deuil (DPM) (Stroebe et Schut, 1999), la présente recherche vise l’atteinte de 2 objectifs descriptifs, soit de décrire la nature et les fonctions des liens continus chez les personnes ayant vécu le décès d’un proche pendant la pandémie de COVID-19. Pour réaliser ces objectifs, des entretiens individuels ont été réalisés en ligne, auprès de 29 personnes ayant perdu un proche entre le mois de mars 2020 et le début de l’étude (mars 2021). Ces entretiens ont ensuite été retranscrits, puis analysés de manière thématique afin de fournir une compréhension approfondie des liens continus selon l’expérience des personnes participantes. Les résultats de ce mémoire mettent en évidence que les personnes participantes vivent une grande variété de formes de liens continus. Entre autres, elles utilisent la communication afin d’entretenir un lien avec le défunt ainsi que plusieurs objets en ce sens. Les personnes mettent également en place des rituels et elles associent à ces liens une croyance en une vie après la mort. Certaines ressentent également la présence du défunt ou elles se remémorent ce dernier à travers des souvenirs. Les personnes rapportent aussi des rêves et des signes liés au défunt et l’une des participantes a réalisé un tatouage commémoratif en hommage à son fils. Par ailleurs, ces personnes ont mis de l’avant que ces liens occupent diverses fonctions telles que le fait de s’associer à l’expression émotionnelle engendrée par le deuil. Également, les liens continus peuvent représenter une forme de soutien au quotidien et permettent d’honorer la mémoire du défunt. Pour d’autres, ils permettent de se sentir protégés et d’atténuer la peur d’oublier le défunt; ces liens ont aussi contribué à transformer leur relation préexistante avec leur proche. Finalement, les liens continus ont permis à certaines personnes participantes de donner un sens à leur expérience de deuil en temps de pandémie. En somme, cette étude, menée pendant la pandémie, confirme des résultats précédents sur les liens continus dans le deuil, mettant en évidence la diversité des expériences vécues (Klass et al., 1996; Root et Exline, 2014). L’importance de ne pas considérer ces liens comme une expérience systématique au sein du deuil est mise de l’avant, en plus du fait que la rupture de ces liens n’est pas nécessaire pour une adaptation réussie (Klass et Steffen, 2017; Russac et al., 2002; Stroebe et al., 2010). En regard du modèle à double processus de deuil (Stroebe et Scut, 1999), les liens continus ne mènent pas forcément au déni de la restauration et peuvent soutenir le processus d’oscillation qui est essentiel dans ce modèle. Nous soulevons l’hypothèse que le rôle des liens continus au sein du deuil n’est ni strictement positif ni négatif, qu’ils peuvent à la fois aider à la confrontation et à l’évitement des facteurs de stress liés à la perte et à la restauration (Stroebe et Schut, 1999; Klass et al., 1996). Il est alors essentiel de considérer le sens que les individus attribuent à ces liens pour mieux comprendre leur impact sur le deuil (Keen et al., 2013; Mäkikomsi et al., 2021; Root et Exline, 2014). Cette étude confirme l’importance de considérer les liens continus dans l’accompagnement du deuil, y compris en contexte de restrictions sociosanitaires et de traumatismes collectifs comme la pandémie. Ces résultats permettent également aux travailleurs sociaux de mieux saisir la nature de ces liens et offrent des moyens pour les intégrer dans leur pratique clinique.