Constellation, le dépôt institutionnel de l'Université du Québec à Chicoutimi

Résumé

Ce mémoire explore les représentations narratives des élèves allochtones du 2e cycle du secondaire. Il s’intéresse particulièrement aux rôles et spécificités attribués à l’histoire des Autochtones depuis la révision du programme d’Histoire du Québec et du Canada en 2017. Il a d’abord été motivé par l’augmentation des écrits portant sur les séquelles laissées par le système des pensionnats autochtones au Canada et la publication de rapports tels que ceux de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) qui souligne le besoin ressenti de procéder à la décolonisation des programmes d’études au Canada. En effet, les appels à l’action de la CVR en 2015 ont renforcé l’intérêt pour l’intégration des perspectives autochtones dans les programmes éducatifs (Lachapelle, 2019). Plus encore, nombreux sont ceux qui soulignent l’importance d’assurer une implication des communautés autochtones elles-mêmes dans ce processus afin de contrecarrer les effets négatifs liés à la relation coloniale (Battiste, 2000, 2013; Wiscutie-Crépeau, 2016). Cela permettrait alors de transformer les systèmes éducatifs de manière à inclure adéquatement les épistémologies autochtones (Tuck et Yang; 2012; Battiste, 2013; Coulthard, 2014). Compte tenu de ce qui précède, plusieurs chercheurs se sont ainsi mobilisés en proposant des étapes pour encourager la décolonisation des savoirs en éducation. Ces étapes vont de la reconnaissance des identités autochtones, à l’écoute de leurs perspectives et passent par une réflexion critique des fondements coloniaux des systèmes éducatifs au Canada (Regan, 2010 ; Dion, 2016; Armstrong et al., 2018; Dabin, 2019; Lachapelle, 2019). Au Québec, bien que les deux dernières modifications aux programmes d’histoire soient marquées par une volonté d’inclure davantage les perspectives autochtones, des chercheures comme Battiste (2013) et Wiscutie-Crépeau (2020) dénoncent la mise en marge de ces dernières, voire une perpétuation des stéréotypes négatifs. Plus précisément, malgré les changements au programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté (HEC) en 2006, des lacunes persistent au niveau de la représentation des peuples autochtones à des périodes historiques précises (Ledoux, 2019; Bories-Sawala, 2021). Les changements les plus récemment apportés à ce même programme qui se nommera désormais Histoire du Québec et du Canada (HQC), bien que qualifiés de plus inclusifs, sont également jugés insuffisants pour parler d’un réel processus de décolonisation (Duquette, 2022). Considérant cette tension entre désirs de décolonisation et la réalité observable dans le curriculum en vigueur (2017), nous en venons à porter notre regard sur les représentations narratives développées par les élèves allochtones à l’égard de l’histoire des Autochtones à la fin de leur parcours au secondaire. Étant mis en relation avec diverses figures de transmission contrastées s’immisçant dans le processus cognitif à travers duquel se fondent les représentations narratives, l’apprenant nous apparait comme étant le participant idéal pour nous raconter ce qu’il connait et pense de ce processus de décolonisation. Dans ce mémoire, nous cherchons donc à (1) identifier les représentations narratives d’élèves allochtones du 2e cycle du secondaire, (2) identifier les facteurs ou les lieux déclarés par ces derniers comme exerçant une influence pour former ces représentations et (3) proposer une réflexion concernant l’état actuel du processus de décolonisation tel qu’il est vécu dans les classes du secondaire au Québec. Pour ce faire, nous avons mené une analyse qualitative phénoménographique à partir de six entretiens. Lors de ces entretiens, les participants (n=12), répartis en dyades, ont coconstruit une trame narrative basée sur l’analyse de documents historiques, ce qui a permis de produire un modèle combiné mettant en évidence la forte influence du programme HQC (2017). À travers notre compréhension du concept d’histoire nationale, représentant le récit du « nous » (Bouchard, 1999) et écrite par les dominants au détriment des minorités (Huntington, 2002; Fonte, 2002; Boudon, 2004; Facal, 2009; Beauchemin, 2012), nous avons pu retracer la place accordée aux différents récits historiques attribuant des rôles différents aux Autochtones dans l’histoire du Québec et du Canada. Nous avons aussi été en mesure de dégager dans la construction qu’ils se font de leur histoire l’importance accordée aux spécificités autochtones (Hébert-Houle, 2017) et les principaux facteurs d’influences déclarés. Ce même processus d’analyse aura entre autres mené à l’appréciation de la complexité des représentations narratives, mais également à l’observation de nombreuses similarités entre ces dernières et l’organisation des contenus autochtones dans le programme HQC (2017). La majorité des élèves ayant pris part à notre projet de recherche semble être fortement influencée par le programme HQC (2017) lorsqu’ils doivent construire et discuter de leurs perceptions de l’histoire des Autochtones. La méthodologie employée, offrant l’opportunité d’inclure différentes perspectives et de s’ancrer aux épistémologies occidentales comme autochtones, montre malgré tout la domination du modèle chronologique généralement associé aux conceptions occidentales de l’apprentissage de l’histoire. Bien que certains participants aient inclus des perspectives alternatives, ces dernières n’ont pas permis de valoriser pleinement les épistémologies autochtones. La combinaison des trames narratives réalisées par les élèves montre qu’ils ont plutôt tendance à réutiliser les « grands événements » mis de l’avant dans la précision des apprentissages du programme HQC (2017), laissant ainsi peu de place aux spécificités autochtones. L’influence du programme est également perceptible au niveau de l’illustration d’enchainements causals par les participants, donc de plusieurs éléments en lien avec la démarche d’acquisition de l’histoire chez les Occidentaux. Malgré le portrait de l’histoire des Autochtones qui est actuellement dépeint par le programme HQC (2017), les tâches proposées par l’enseignant en salle de classe pourraient potentiellement mener à une certaine ouverture à des récits alternatifs. En effet, les élèves reconnaissent que leurs représentations narratives ne sont pas figées et peuvent évoluer. L’un des apports de ce mémoire à l’état de la recherche en éducation est de montrer qu’une tâche de coconstruction mobilisant les concepts de la pensée historique peut permettre de remettre en question nos conceptions historiques, particulièrement lorsque nous sommes exposés à différentes perspectives d’un même événement. Ainsi, cette recherche montre que même si le programme HQC (2017) teinte dans une certaine mesure les représentations narratives des apprenants, il existe une marge de manoeuvre pour donner davantage de sens à la discipline de l’histoire à travers des pratiques pédagogiques favorisant la réflexion critique. Malgré cela, la répartition actuellement observable des contenus autochtones dans le programme limite le potentiel de discussion entourant un réel processus de décolonisation dans les classes du Québec.